Au seuil du silence – Jiddu Krishnamurti,

Pourquoi rêvons-nous ?

En ce qui concerne les rêves, on a toujours admis qu’il faut en avoir, c’est une habitude de penser qu’il faut rêver, que c’est inévitable ; certains psychologues ont  été jusqu’à dire que si l’on ne rêve pas on tombe dans la folie, autrement dit ils prétendent qu’il est impossible de ne pas rêver du tout.

Et personne ne demande jamais :

« Mais pourquoi rêver ? »,

« À quoi cela sert-il ? ».

Il ne s’agit pas de savoir ce que sont les rêves et comment les interpréter ; tout cela est compliqué et n’a vraiment pas beaucoup de signification.

Mais ne peut-on pas découvrir s’il est possible de ne pas rêver du tout, de sorte que quand on dort, on dort dans une plénitude totale, un repos complet permettant à l’esprit de s’éveiller le lendemain plein de fraîcheur et sans passer par toute cette lutte ?

Je dis que c’est possible.

Comme nous l’avons affirmé, nous ne découvrons ce qui est possible que quand nous allons au-delà de l’« impossible ».

Pourquoi rêvons-nous ?

Nous rêvons parce que, au courant de la journée l’esprit conscient, l’esprit superficiel est occupé

— nous ne nous servons ici d’aucun terme technique, s’il vous plaît, seulement des mots ordinaires, nous n’adoptons aucun jargon particulier —,

au courant de la journée l’esprit conscient est occupé

  • de son travail,
  • du bureau,
  • de l’usine,
  • de la cuisine,
  • de laver la vaisselle

— vous savez, il est occupé superficiellement et la conscience plus profonde, elle, veille, mais elle n’est pas capable de communiquer avec l’esprit « conscient » parce que celui-ci est superficiellement occupé.

Ceci est très simple.

Quand vous vous endormez, l’esprit superficiel est plus ou moins tranquille,

mais pas complètement,

  • il est préoccupé du bureau,
  • de ce que vous avez dit à votre femme,
  • des querelles de votre femme,
  • (etc…)

vous connaissez toutes ces craintes —

mais enfin il est assez calme.

Dans cette nappe de calme relatif l’inconscient projette, insinue ses propres exigences, ses propres aspirations, ses propres peurs que l’esprit superficiel traduit par des rêves.

Avez-vous quelque expérience en tout ceci ?

C’est assez simple. Interpréter des rêves, dire qu’ils sont inévitables, n’est pas important, mais si vous le pouvez, cherchez à découvrir s’il y a moyen de ne pas rêver du tout ;

ce n’est possible que quand vous avez conscience dans le courant de la journée

  • de chaque mouvement de la pensée,
  • de vos mobiles,
  • si vous êtes conscients de comment vous marchez,
  • comment vous parlez,
  • ce que vous dites,
  • pourquoi vous fumez,
  • ce qu’implique votre travail,
  • si vous êtes conscients de la beauté des collines, des nuages, des arbres,
  • et de la boue sur la route,
  • et de vos paroles échangées avec votre prochain.

Qu’il n’y ait aucun choix dans votre lucidité, et qu’ainsi vous soyez toujours à

observer, à observer, à observer;

prenez conscience aussi qu’en tout cela existe également l’inattention.

Si vous faites cela dans le courant de la journée votre esprit devient extraordinairement éveillé, alerte, non seulement votre esprit superficiel, mais votre conscience tout entière, tout entière, parce qu’elle ne permet à aucune pensée secrète de s’échapper, il n’y a pas un recoin qui n’est pas exposé, révélé.

Et alors quand vous vous endormez votre esprit devient extraordinairement calme, il n’y a pas de rêve, et une activité tout à fait différente se poursuit.

L’esprit qui a vécu avec la plus complète intensité au courant de la journée, prenant conscience de ses paroles et si par chance il se trompe, prend conscience de son erreur,

sans dire :

« Je ne dois pas »

ni

« Il faut que je lutte contre cela »,

l’esprit est avec toutes ces choses, les regardant, complètement lucide à l’égard des erreurs qu’il peut commettre

— il a éveillé la qualité complète de la conscience; et quand il s’endort, il a déjà rejeté toutes les vieilleries qui appartiennent au passé. —

La peur (est-ce que mes paroles vous plongent dans le sommeil ?), la peur n’est pas un problème insoluble. Quand elle est comprise, cela entraîne la solution de tous les problèmes qui sont reliés à cette peur.

Là où il n’y a pas de peur, il y a liberté.

Et quand existe cette liberté et cette non-dépendance psychologique complète, l’esprit est alors pur de toute habitude.

Voyez-vous,

l’amour n’est pas habitude,

l’amour ne peut pas être cultivé

— les habitudes, elles, peuvent être cultivées —

et pour la plupart d’entre nous l’amour est quelque chose de si lointain que nous n’en avons jamais connu la qualité, nous n’en connaissons même pas la nature.

Pour déboucher sur l’amour il faut qu’il y ait liberté;

quand l’esprit est complètement immobile, vivant dans sa propre liberté,

alors règne l’« impossible », qui est l’amour.

Extrait du septième entretien – 21 juillet 1968.

Krishnamurti, Jiddu. Au seuil du silence (French Edition) . Le Courrier du Livre. Édition du Kindle.

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Le livre de la méditation et de la vie – Jiddu Krishnamurti,

Affrontez le fait, pour voir… – 10 mars –

Nous avons tous fait l’expérience de cette immense solitude,

où tout –

les livres, la religion,

tout –

se dérobe,

et où nous sommes, au plus profond de nous, immensément seuls et vides.

Nous sommes généralement incapables de faire face à ce vide, à cette solitude, et nous les fuyons.

La dépendance est l’une des choses dans lesquelles nous trouvons un refuge,

bientôt indispensable,

parce que nous ne supportons pas d’être seuls face à nous-mêmes.

Il nous faut

  • la radio,
  • des livres,
  • des conversations,
  • des bavardages incessants
    • sur ceci ou cela,
    • sur l’art et la culture.

Nous en arrivons ainsi à ce point où nous avons la connaissance intime de cet extraordinaire sentiment d’isolement de soi.

Nous pouvons avoir un très bon emploi, travailler avec acharnement, écrire des livres, et pourtant cet énorme vide est là, au fond de nous. Nous voulons le combler, et la dépendance est l’un des moyens.

La dépendance,

  • les distractions,
  • les bonnes œuvres,
  • les religions,
  • l’alcool,
  • les femmes

sont pour nous autant de moyens parmi tant d’autres de masquer, de combler ce vide.

Si nous voyons qu’il est tout à fait futile de vouloir le masquer,

si nous en constatons toute la futilité,

si au lieu de nous en tenir

  • à des mots,
  • à des convictions,
  • et donc à des préjugés,
  • à des opinions toutes faites

nous voyons l’absurdité totale de tout cela…

alors nous sommes confrontés à un véritable fait.

La question n’est pas de savoir comment se délivrer de la dépendance,

car, loin d’être un fait, elle n’est que la réaction à un fait…

Pourquoi ne pas affronter le fait, pour voir ce qui se passe ?

C’est là que se pose le problème de l’observateur et de la chose observée.

L’observateur dit : « Je suis vide ; cela ne me plaît pas », et il prend la fuite.

L’observateur dit : « Je suis distinct du vide. »

Or, l’observateur est le vide, il n’est plus question d’un vide vu par un observateur.

L’observateur est la chose observée.

Lorsque cet événement se produit,

il s’opère dans la pensée,

dans la perception,

une formidable révolution.

Krishnamurti, Jiddu. Le livre de la méditation et de la vie (Essais – Documents) (French Edition) . Stock. Édition du Kindle.

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La fin de la souffrance – 23 juillet

Le livre de la méditation et de la vie – Jiddu Krishnamurti, Stock – Édition du Kindle.

Il suffit de descendre la route, et vous verrez la splendeur de la nature, la beauté extraordinaire des prés verdoyants et l’immensité du ciel ; et vous entendrez le rire des enfants.

Mais il y a, en dépit de tout cela, une sensation de souffrance.

  • Il y a l’angoisse de la femme qui porte en elle un enfant;
  • il y a la douleur liée à la mort;
  • il y a la souffrance de celui qui attend quelque chose qui n’arrive pas;
  • il y a la souffrance de voir un pays qui s’effondre et tombe en décadence;
  • et il y a la souffrance liée à la corruption, non seulement collective, mais aussi individuelle.

La souffrance est présente jusque dans votre propre maison, si vous regardez jusqu’au fond des choses :

  • douleur de ne pas réussir,
  • douleur d’être mesquin ou incapable,
  • et toutes sortes de douleurs inconscientes.

La vie, c’est aussi le rire.

Le rire est une chose merveilleuse – rire sans raison, avoir le cœur en joie, sans motif, aimer sans rien demander en retour.

Mais ce rire ne nous vient que très rarement.

Nous sommes écrasés de souffrance, notre vie est une succession de malheurs et de luttes, une déchéance continuelle,

et nous ne savons pratiquement jamais ce qu’est aimer de tout notre être…

Nous sommes à la recherche d’une solution, d’un moyen, d’une méthode grâce auxquels se volatiliserait ce fardeau de la vie, et ainsi nous ne regardons jamais vraiment la souffrance. Nous essayons de la fuir à travers des mythes, des images, des spéculations; nous espérons trouver un moyen d’éluder ce poids, d’éviter que la vague de souffrance ne nous rattrape. …

La souffrance a effectivement une fin – qui n’intervient ni grâce à un système ni grâce à une méthode quelconques.

La souffrance cesse

dès la perception juste de ce qui est.

Rencontre avec la souffrance – 24 juillet

Comment faire face à la souffrance ?

Pour la plupart d’entre nous, le face-à-face est, je le crains, très superficiel.

  • Notre éducation,
  • notre formation,
  • nos connaissances,
  • les influences sociologiques auxquelles nous sommes exposés

font de nous des êtres si superficiels !

L’esprit superficiel est celui que sa fuite mène droit

  • à l’église,
  • à des conclusions,
  • des conceptions,
  • une conviction
  • ou une idée.

C’est le refuge de l’esprit superficiel en détresse.

Et si vous ne trouvez refuge nulle part, vous vous faites une carapace et vous devenez cynique, dur, indifférent, ou vous trouvez une échappatoire facile dans la névrose.

Toutes les défenses de ce genre contre la souffrance empêchent une exploration plus poussée…

Regardez donc votre propre esprit, voyez comment vous trouvez toujours des explications plausibles à vos peines, comment vous vous noyez dans le travail, dans les idées, comment vous vous accrochez à une croyance en Dieu, ou à une existence futile.

Et si aucune explication, aucune croyance ne vous satisfait, vous fuyez dans l’alcool et le sexe, ou vous devenez cynique, dur, amer et cassant…

Une génération après l’autre,

cet héritage se transmet de parents à enfants,

mais jamais l’esprit superficiel n’expose sa plaie à nu; il ne connaît pas vraiment la souffrance, elle ne lui est pas familière.

Elle n’est pour lui

  • qu’une idée,
  • une image,
  • un symbole;

jamais il ne rencontre la souffrance – mais seulement le mot souffrance.

Lorsqu’on fuit la souffrance – 25 juillet

La souffrance prend pour chacun de nous des formes différentes :

elle peut être liée

  • à une relation,
  • à la mort de quelqu’un,
  • à l’impossibilité de se réaliser qui mène au dépérissement et au néant,
  • ou encore liée aux efforts pour réussir,
  • devenir quelque chose, et qui se heurtent à l’échec total.

Et il y a tout le problème de la souffrance sur le plan physique – 

  • la maladie,
  • la cécité,
  • le handicap,
  • la paralysie,
  • et ainsi de suite.

Cette chose qu’on appelle la souffrance est partout – et la mort nous attend au tournant.

Mais nous ne savons pas comment faire face à la souffrance, alors

  • nous la vénérons,
  • nous la rationalisons,
  • ou nous essayons de la fuir.

Allez dans n’importe quelle église chrétienne et vous constaterez qu’on y vénère la souffrance, considérée comme une chose extraordinaire et sainte ; et l’on vous dit que ce n’est qu’à travers la souffrance, à travers le Christ crucifié que l’on peut trouver Dieu.

L’Orient a ses propres formes d’évasion, d’autres moyens d’éviter la souffrance, et il me semble extraordinaire que si peu de gens, tant en Orient qu’en Occident, soient véritablement libérés de la souffrance.

Ne serait-ce pas merveilleux si, tandis que vous écoutez – en l’absence de tout sentiment ou émotion –… vous pouviez réellement comprendre la souffrance et vous en libérer totalement ?

Parce qu’il n’y aurait plus alors de mensonges envers soi-même ni d’illusions, d’angoisse, ou de peur ; et l’esprit pourrait fonctionner avec clarté, acuité et logique.

Peut-être saurions-nous alors ce qu’est l’amour.

Krishnamurti, Jiddu. Le livre de la méditation et de la vie (Essais – Documents) (French Edition) . Stock. Édition du Kindle.

Quel est l’objet de votre recherche ?

Jiddu Krishnamurti – LA PREMIÈRE ET DERNIÈRE LIBERTÉ

Est-ce le bonheur que nous cherchons, ou une sorte de satisfaction dont nous espérons tirer du bonheur ?

  • Quel est le but que poursuivent la plupart d’entre nous ?
  • Quel est notre désir le plus profond ?

Dans ce monde agité, où tous s’efforcent, d’une façon ou d’une autre, de trouver une paix, un bonheur, un refuge, il est important, n’est-ce pas, que chacun de nous sache le but qu’il veut atteindre, l’objet de ses recherches.

Nous sommes probablement, presque tous, à la poursuite d’une sorte de bonheur, d’une sorte de paix.

Dans un monde où règnent le désordre, les luttes, les conflits, les guerres, nous voulons trouver un peu de paix dans un refuge. Je crois que la plupart d’entre nous ont ce désir. Et nous le poursuivons en passant d’une autorité à l’autre, d’une organisation religieuse à une autre, d’un sage à un autre.

  • Mais, est-ce le bonheur que nous cherchons, ou une sorte de satisfaction dont nous espérons tirer du bonheur ?

Le bonheur et la satisfaction sont deux choses différentes.

  • Peut-on « chercher » le bonheur ?
  • Peut-être est-il possible de trouver une satisfaction,
  • mais peut-on « trouver » le bonheur ?

Le bonheur est un dérivé; c’est le sous-produit de quelque chose. Et avant de consacrer nos esprits et nos cœurs à une recherche qui exige beaucoup de sincérité, d’attention, de réflexion, de soins, nous devons savoir si c’est le bonheur que nous voulons ou une satisfaction. Je crains qu’il s’agisse en général de satisfaction. Notre recherche a pour but de satisfaire notre désir de plénitude.

Après tout, si c’est la paix que l’on cherche, on peut la trouver. L’on n’a qu’à se dévouer entièrement à une cause quelconque, à une idée, et y prendre refuge.

Mais il est évident que cela ne résout pas le problème. S’enfermer dans une idée ne libère pas du conflit.

Il nous faut donc savoir ce que nous voulons obtenir intérieurement et extérieurement.

Si nous avons une perception claire de nos intentions nous n’avons plus besoin d’aller consulter qui que ce soit à ce sujet, ni maîtres, ni Églises, ni organisations. Notre réelle difficulté est de clarifier notre intention.

Et la question se pose :

  • la clarté est-elle possible ?
  • Et peut-on aller à sa recherche en écoutant ce que disent les uns et les autres, depuis le plus grand sage jusqu’au prédicateur du coin de la rue ?
  • Vous faut-il aller chez quelqu’un pour être éclairé quant à vos intentions ?

Et pourtant c’est ce que vous faites.

Vous lisez d’innombrables livres, vous assistez à des réunions, vous adhérez à toutes sortes d’organisations, en vue de trouver un remède à vos conflits, à la misère de vos existences. Ou encore, sans vous livrer à toutes ces activités, vous déclarez avoir trouvé la lumière, que telle organisation, tel livre, tel sage vous satisfont, que vous y avez trouvé tout ce que vous cherchiez ; et vous demeurez là-dedans, cristallisés, enfermés.

Ce que nous cherchons à travers toute cette confusion, n’est-ce point quelque chose de permanent, de durable, quelque chose que nous appelons le réel, Dieu, la vérité ou autrement ?

(Car le nom importe peu, le nom n’est pas la chose; ne nous laissons pas prendre par des mots, laissons cela aux conférenciers professionnels.)

Il y a une recherche de quelque chose de permanent, n’est-ce pas, en chacun de nous, de quelque chose à quoi nous accrocher, qui nous donnera une assurance, un espoir, un enthousiasme durable, une certitude permanente,

car, au plus profond de nous-mêmes, nous sommes si incertains !

Nous ne nous connaissons pas.

Nous avons beaucoup de faits et ce que les livres ont dit, mais nous n’avons pas de connaissance directe, d’expérience directe. Et quelle est cette chose que nous qualifions de permanente, et dont nous espérons qu’elle nous conférera une permanence?

L’objet de notre recherche, n’est-ce point un bonheur durable, une satisfaction durable, une certitude durable ?

Nous aspirons à quelque chose qui dure indéfiniment et qui nous fasse indéfiniment plaisir.

Dépouillons-nous de nos mots et de nos phrases; voyons le fait tel qu’il est : ce que nous voulons, c’est un plaisir qui dure indéfiniment, que nous appelons la vérité, Dieu ou autrement.

Voilà qui est entendu; c’est le plaisir que nous voulons.

Peut-être est-ce une façon un peu brutale de le dire, mais en fait c’est bien cela que nous voulons, une connaissance
qui nous donnera du plaisir, une expérience qui nous donnera du plaisir, une satisfaction qui ne se dissipera pas dans l’avenir. Nous avons tâté de toutes sortes de plaisirs et ils se sont évanouis ; alors nous espérons trouver une satisfaction permanente en la vérité, en Dieu. Il est bien certain que c’est cela que nous recherchons tous, les plus intelligents d’entre nous comme les plus stupides, les théoriciens comme les gens pratiques.

  • Mais existe-t-il une satisfaction permanente ?
  • Existe-t-il rien qui dure indéfiniment ?
  • Et si vous êtes à la recherche de cette satisfaction indéfiniment durable que vous appelez Dieu, la vérité (ou autrement) ne devez-vous pas savoir ce que vous cherchez ?
  • Et lorsque vous dites « je » cherche ce bonheur permanent, ne devez-vous pas connaître ce « je » qui cherche, savoir ce qu’est cette entité ?

Car il se pourrait que ce que vous cherchez n’existe pas.

La Vérité pourrait n’avoir aucun rapport avec tout ce que vous poursuivez et je pense en effet qu’elle est entièrement différente de tout ce que l’on peut voir, concevoir et formuler.

Donc, préalablement à cette recherche d’une permanence,

  • n’est-il pas nécessaire de comprendre le chercheur ?
  • Le chercheur est-il différent de l’objet de sa recherche ?
  • Lorsque vous dites : « je cherche le bonheur », le chercheur est-il différent de l’objet de sa recherche ?
  • Le penseur est-il autre chose que la pensée ?
  • Ne sont-ils pas un seul et même phénomène plutôt que deux processus séparés ?
  • Et ces questions n’entraînent-elles pas la nécessité de comprendre le chercheur avant même que de connaître l’objet de sa recherche ?

Nous voici arrivés au point où nous devons nous demander en toute sincérité et profondément

si la paix, le bonheur, le réel, Dieu (encore une fois, le nom importe peu) peut nous être donné par autrui.

Cette incessante recherche, cette aspiration,

  • peut-elle nous apporter l’extraordinaire sens du réel,
  • l’état créateur qui surgit lorsque nous nous connaissons réellement nous-mêmes ?
  • La connaissance de soi s’obtient-elle en la cherchant partout,
  • en écoutant des enseignements,
  • en adhérant à des organisations,
  • en lisant des livres,
  • etc., etc. ?

Au contraire (et c’est cela le point fondamental) tant que je ne me comprends pas,

  • ma pensée n’a pas de base et toutes mes recherches sont vaines;
  • je pourrai m’évader dans des illusions;
  • fuir les difficultés, les luttes, les conflits;
  • adorer telle ou telle personne;
  • chercher mon salut chez autrui;

mais tant que je serai dans l’ignorance de moi-même, tant que je ne serai pas conscient de la totalité de mon propre processus, ma pensée, mes sentiments, mon action n’auront pas de base.

Mais nous connaître est la dernière chose que nous voulons, bien que ce soit la seule fondation sur laquelle on puisse bâtir.

Avant de pouvoir créer, avant d’être à même de condamner ou de détruire, nous devons savoir ce que nous sommes.

  • Aller à la recherche de sages,
  • changer d’instructeurs,
  • de gourous,
  • s’exercer à des yogas,
  • respirer de telle ou telle façon,
  • pratiquer des rituels,
  • obéir à des Maîtres :

tout cela est absolument inutile et n’a aucun sens, même si les personnes dont nous suivons l’enseignement nous disent « connais-toi ».

Car ce que nous sommes, le monde l’est aussi; et si nous sommes mesquins, jaloux, vains, avides, c’est cela que nous créons autour de nous, c’est cela la société où nous vivons.

Il me semble

  • qu’avant d’entreprendre un voyage à la recherche de la réalité, de Dieu,
  • qu’avant de pouvoir agir,
  • qu’avant de pouvoir établir des rapports réels avec autrui (nos rapports mutuels sont la société),

il est essentiel que nous commencions par nous comprendre nous-mêmes.

Je considère honnêtes et sincères les personnes qui donnent la priorité absolue à cette connaissance de soi et non à la façon de parvenir à un but particulier, car si vous et moi ne nous connaissons pas nous-mêmes, comment pouvons-nous, par notre action, amener une transformation dans la société, dans nos relations, dans nos œuvres, quelles qu’elles soient ?

Se consacrer à la connaissance de soi ne veut pas dire s’isoler, s’opposer au monde, ni mettre l’accent sur l’individu, le moi, par opposition à la masse, aux autres.

Comprenez plutôt que

  • si vous ne vous connaissez pas,
  • si vous n’êtes pas conscients
    • de votre façon de penser,
    • des raisons pour lesquelles vous tenez
      • à certaines opinions,
      • à certaines croyances
        • sur l’art et la religion,
        • sur votre pays,
        • sur votre voisin
        • et vous-même,

bref si vous n’êtes pas conscients de tout ce qui fait votre conditionnement, il vous est impossible de penser avec vérité sur quoi que ce soit.

Si vous ne voyez pas clairement votre conditionnement, lequel est la substance de votre pensée et son origine,

ne voyez-vous pas que votre recherche est futile, que votre action n’a pas de sens ?

Que vous soyez américain ou hindou et que votre religion soit ceci ou cela, n’a aucun sens non plus.

Avant de chercher à savoir quel est le but de la vie, et ce que signifie ce monde chaotique d’antagonismes nationaux, de conflits, de guerres, nous devons commencer par nous-mêmes.

Cela a l’air très simple mais c’est extrêmement difficile.

Pour nous observer dans la vie quotidienne, pour voir comment fonctionne notre pensée, il nous faut être extraordinairement sur le qui-vive,

devenir de plus en plus conscients

  • des complexités de notre pensée,
  • de nos réactions et
  • de nos émotions,

et parvenir ainsi à une lucidité de plus en plus grande,

non seulement en ce qui nous concerne, mais au sujet de la personne avec laquelle nous sommes en rapport.

Se connaître c’est s’étudier en action, laquelle est relation.

La difficulté est que nous sommes impatients. Nous voulons aller de l’avant, parvenir à un but, de sorte que nous ne trouvons ni le temps ni l’occasion de nous étudier, de nous observer. Par contre nous nous engageons dans toutes sortes d’activités.

Nous sommes si absorbés

  • par notre gagne-pain,
  • des enfants à élever,
  • des responsabilités dans différentes organisations,

que nous n’avons guère le temps

  • de réfléchir,
  • d’observer,
  • de nous étudier.

Mais la responsabilité de nos actions nous incombe, nous ne pouvons pas la faire endosser à autrui.

Cette habitude que l’on a, dans le monde entier, de s’appuyer sur des guides spirituels et sur leurs systèmes me semble être une activité creuse et complètement futile, car vous pouvez lire les ouvrages les plus anciens ou les plus récemment parus, et errer par toute la terre, il vous faudra faire retour à vous-mêmes. Et comme la plupart d’entre nous sont aveugles en ce qui les concerne, il est bien difficile de commencer même à voir clair dans le processus de notre pensée, de nos sentiments et de nos actions.

Plus l’on se connaît, plus il y a de clarté.

La connaissance de soi n’a pas de limites; elle ne mène pas à un accomplissement, à une conclusion.

C’est un fleuve sans fin. Plus on s’y plonge, plus grande est la paix que l’on y trouve.

Ce n’est que lorsque l’esprit est tranquille grâce à la connaissance de soi (et non par l’imposition d’une discipline) qu’en cette tranquillité, en ce silence, la réalité surgit. Alors seulement est la félicité, l’action créatrice.

Et il me semble que sans cet entendement, sans cette expérience,

  • lire des livres,
  • écouter des discours,
  • se livrer à de la propagande

est une activité puérile qui n’a pas beaucoup de sens.

Mais celui qui est capable, en se comprenant lui-même,

de donner naissance à ce bonheur créatif,

à ce « quelque chose » vécu qui n’est pas du monde de la pensée, peut-être produit-il une transformation autour de lui dans ses relations immédiates,

donc aussi dans le monde où nous vivons.

Jiddu Krishnamurti – LA PREMIÈRE ET DERNIÈRE LIBERTÉ
Traduit de l’anglais par Carlo Suarès – 1954
Éditions Stock

Le livre de la méditation et de la vie – Jiddu Krishnamurti,

Connaître tout le contenu d’une pensée – 24 décembre

N’être rien est le commencement de la liberté.

Donc, si vous êtes capable de percevoir, d’approfondir cela, vous vous apercevrez, à mesure que votre conscience s’affine, que vous n’êtes pas libre, que vous êtes lié à une multitude de choses diverses, et qu’en même temps, votre esprit nourrit l’espoir d’être libre.

Et vous constaterez que ces deux tendances sont contradictoires.

Il faut donc que l’esprit examine

pourquoi il s’accroche aux choses.

Et c’est une rude tâche. C’est bien plus difficile que d’aller au bureau, plus dur que n’importe quel effort physique, plus ardu que toutes les sciences réunies.

Car l’esprit qui est humble, intelligent s’intéresse à lui-même sans être égocentrique;

il est donc forcément extraordinairement alerte, attentif, et cela suppose un réel travail, de chaque jour, chaque heure, chaque minute…

Cela exige tout un labeur persévérant, car la liberté n’est pas aisée à obtenir.

Tout lui fait obstacle :

  • votre femme,
  • votre mari,
  • votre fils,
  • votre voisin,
  • vos dieux,
  • vos religions,
  • votre tradition.

Tout cela vous entrave,

mais c’est vous qui en êtes responsable, car vous voulez la sécurité. Et l’esprit qui cherche la sécurité ne la trouvera jamais.

Si vous avez quelque peu observé le monde, vous savez bien que la sécurité n’existe pas.

Le mari vient à mourir, ou la femme, ou le fils – il arrive toujours quelque chose. La vie n’est pas statique, car toute vie est mouvement. C’est une chose qu’il faut bien saisir, une vérité qu’il faut bien voir, bien ressentir, ce n’est pas un sujet de débat.

Alors vous verrez, à mesure que vous commencez à explorer, que cela est réellement un processus de méditation.

Mais ne vous laissez pas hypnotiser par ce mot.

Avoir conscience de chaque pensée, savoir quelle en est la source, et quel en est le but –

voilà ce qu’est la méditation.

Et connaître une seule pensée dans tout son contenu suffit à dévoiler l’ensemble du mécanisme de l’esprit.

Krishnamurti, Jiddu. Le livre de la méditation et de la vie
(Essais – Documents) (French Edition) . Stock. Édition du Kindle.

محبة, amor, amour, love, காதல், люблю, אהבה, 愛する, 愛, imħabba, پيار, убов, ịhụnanya, uthando, yêu và quý, дӯст доштан, szeretet, ຮັກ…

La première et la dernière liberté -Introduction (fin)

Jiddu Krishnamurti (1895-1986).

Pouvons-nous mettre tout de suite fin à cette misère et ne plus être emportés par la vague de confusion et de douleur ?

« Ainsi, notre problème, à vous et à moi, est de savoir si nous pouvons sortir de cette misère instantanément, si, vivant dans le monde, mais refusant d’en faire partie, nous pouvons aider les autres à sortir de la confusion, non pas dans l’avenir, non pas demain, mais maintenant. »

De grands instructeurs tels que le Bouddha ou le Christ sont venus; ils ont accepté la foi des autres, alors qu’ils étaient peut-être, eux-mêmes, affranchis de la confusion et de la douleur. Mais ils n’ont jamais mis fin à la douleur, ils n’ont jamais empêché la confusion de se produire.

La douleur se perpétue, la confusion se perpétue.

Et si, voyant ce désordre social et économique, vous vous réfugiez dans ce qu’on appelle la vie religieuse et abandonnez le monde, vous pouvez peut-être avoir ainsi le sentiment d’atteindre ces grands maîtres, mais le monde continue dans sa destruction chaotique, dans l’incessante souffrance de ses riches et de ses pauvres.

Ainsi, notre problème, à vous et à moi, est de savoir si nous pouvons sortir de cette misère instantanément, si, vivant dans le monde, mais refusant d’en faire partie, nous pouvons aider les autres à sortir de la confusion, non pas dans l’avenir, non pas demain, mais maintenant. Tel est notre problème. La guerre arrive, probablement, plus destructrice, plus horrible que les précédentes. Certes, nous ne pouvons pas l’éviter car ses causes sont trop puissantes et trop directement en action.

Mais vous et moi pouvons percevoir immédiatement cette confusion et cette misère.

Nous devons les percevoir; et nous serons alors à même d’éveiller d’autres personnes à cette même compréhension de la vérité.

En d’autres termes, pouvez-vous être libres instantanément ?

Car c’est la seule façon de sortir de cette misère. La perception ne peut avoir lieu que dans le présent, mais si vous dites: je le ferai demain, la vague de confusion vous submerge et vous demeurez dans la confusion.

Est-il possible de parvenir à cet état où l’on perçoit instantanément la vérité, et où, par conséquent, on met fin à la confusion?

Je dis que c’est possible et que c’est la seule voie. Je dis – et ce n’est ni une supposition ni une croyance – que cela peut être fait et que cela doit être fait.

Provoquer cette extraordinaire révolution – qui ne consiste pas à se débarrasser des capitalistes et à mettre un autre groupe au pouvoir – engendrer cette merveilleuse transformation, qui est la seule vraie révolution, voilà le problème. Ce qu’en général on appelle révolution n’est que la modification ou le prolongement de la droite, selon les idées de la gauche. La gauche, en somme, n’est que la continuation de la droite sous une forme modifiée. Si la droite est basée sur des valeurs sensorielles, la gauche n’est qu’une persistance de ces mêmes valeurs, différentes seulement en degré et en expression.

Par conséquent, la vraie révolution ne peut avoir lieu que lorsque vous, l’individu, devenez lucide dans vos rapports avec autrui.

Ce que vous êtes dans vos rapports avec autrui, avec votre femme, votre enfant, votre employeur, votre voisin, constitue la société. La société en soi n’existe pas.

La société est ce que vous et moi, dans nos relations réciproques, avons créé; c’est la projection extérieure de tous nos états psychologiques intérieurs.

Donc si vous et moi ne nous comprenons pas nous-mêmes, transformer le monde extérieur, lequel est la projection de l’intérieur, est une entreprise vaine: les modifications ou transformations qu’on peut y apporter ne sont pas réelles.

Si je suis dans la confusion en ce qui concerne mes rapports humains, je crée une société qui est la réplique de cette confusion, l’expression extérieure de ce que je suis.

Ce fait est évident mais nous pouvons le discuter.

Nous pouvons discuter la question de savoir si la société, l’expression extérieure, m’a produit ou si c’est moi qui ai produit la société.

N’est-ce donc pas un fait évident que ce que je suis dans mes rapports avec autrui crée la société et que, si je ne me transforme pas moi-même radicalement il ne peut y avoir aucune transformation dans la fonction essentielle de la société?

Lorsque nous comptons sur un système pour transformer la société, nous ne faisons qu’éluder la question;

un système ne peut pas modifier l’homme, c’est l’homme qui altère toujours le système, ainsi que le démontre l’Histoire.

Tant que dans mes rapports avec vous, je ne me comprends pas moi-même,

  • je suis la cause du chaos,
  • des malheurs,
  • des destructions,
  • de la peur,
  • de la brutalité.

Et me comprendre n’est pas affaire de temps;

je puis me comprendre qu’en ce moment même.

Si je dis: je me comprendrai demain, j’introduis le chaos, mon action est destructrice.

Dès que je dis : je me comprendrai, j’introduis l’élément temps et je suis emporté par la vague de destruction.

La compréhension est « maintenant » et non demain.

Demain est pour l’esprit paresseux, apathique, indifférent. Si une chose vous intéresse, vous la faites instantanément, il y a une compréhension immédiate, une immédiate transformation.

Si vous ne changez pas maintenant vous ne changerez jamais parce que le changement remis au lendemain ne sera qu’une modification et non une transformation.

Une transformation ne peut se produire qu’immédiatement; la révolution est maintenant, non demain.

Lorsque cela arrive,

vous êtes complètement sans problèmes,

car alors le moi ne se préoccupe pas de lui-même;

alors vous êtes au-delà de la vague de destruction.

La première et la dernière liberté -Introduction (fin)
Jiddu Krishnamurti (1895-1986).

La première et dernière liberté – Introduction (suite 1)

Jiddu Krishnamurti (1895-1986).

« Dès que l’on est conscient du désordre, de ce qui « est » exactement, on essaie de s’en évader. Les sectes qui offrent des systèmes pour résoudre la souffrance économique, sociale et religieuse, sont les pires car alors c’est le système qui devient important, non l’homme. »

Que ce système soit religieux ou social, de droite ou de gauche, c’est lui avec sa philosophie et ses idées, qui devient important, non l’homme.

La souffrance est politique, sociale, religieuse; tout notre être psychologique est dans la confusion, nos chefs politiques et religieux n’y peuvent rien et les livres sacrés ont perdu leur valeur.

Vous pouvez consulter la Bhagavad Gîtâ ou la Bible ou le dernier traité de politique ou de psychologie et vous verrez qu’ils ont perdu la résonance, la qualité de la vérité. Ce ne sont plus que de simples mots. Et vous-mêmes, qui faites profession de répéter ces mots, vous êtes confus et incertains, cette répétition ne transmet rien. Ainsi, les mots et les livres ont perdu leur signification et vous, qui citez la Bible, Karl Marx ou la Bhagavad Gîtâ, étant vous-mêmes dans l’incertitude et la confusion, votre répétition devient mensonge, les mots écrits ne sont plus que propagande, et la propagande n’est pas la vérité.

Aussitôt que vous vous mettez à répéter, vous cessez de comprendre votre propre état d’esprit.

Vous ne faites que cacher votre confusion au moyen de l’autorité que vous accordez à des mots. Mais ce que nous essayons de faire, ici, c’est comprendre cette confusion et non la recouvrir au moyen de citations.

  • Or, quelle est votre réponse à cela ?
  • Comment réagissez-vous à cet énorme chaos, à cette confuse incertitude de l’existence ?

Soyez-en conscients à mesure que j’en parle; ne suivez pas mes mots mais la pensée qui agit en vous. La plupart d’entre nous ont l’habitude d’être des spectateurs et de ne pas participer à l’action; de lire des livres et de ne pas en écrire;

être spectateur est devenu une tradition, notre habitude nationale et universelle;

  • nous assistons à des parties de football,
  • nous écoutons des politiciens et des orateurs,
  • nous ne sommes là qu’en surplus;

nous avons perdu la capacité de créer et par conséquent nous voulons absorber et que cela soit notre part.

Mais si vous ne faites qu’assister, si vous n’êtes ici que des spectateurs, vous perdrez totalement le sens de ce discours,

car ceci n’est pas une de ces conférences que l’on vous demande d’écouter par habitude.

Je ne vous donnerai aucune des informations que vous pourriez trouver dans une encyclopédie. Mais nous essayerons de suivre nos pensées réciproques et de poursuivre aussi loin, aussi profondément que nous le pourrons, les intentions et les réactions de nos propres sentiments.

Je vous prie donc de découvrir votre propre réponse à ce chaos, à cette souffrance; non pas de savoir quels sont les mots qu’Untel a prononcés mais quelles sont vos réactions personnelles à ce sujet. Votre réaction est celle de l’indifférence si vous retirez un avantage de cette souffrance, de ce chaos, si vous en avez un profit, économique, social, politique ou psychologique.

Dans ce cas, cela vous est égal que le désordre se prolonge.

Il est évident que plus le monde est troublé et chaotique, plus on recherche la sécurité.

  • Ne l’avez-vous pas remarqué ?

Du fait de la confusion qui règne dans tous les domaines, vous vous enfermez dans la sécurité que vous donne un compte en banque, ou une idéologie; ou encore, vous vous livrez à la prière, vous allez au temple, ce qui veut dire que vous vous abstrayez de ce qui se passe dans le monde. Des sectes se forment, de plus en plus nombreuses, de nouveaux « ismes » surgissent partout.

Car, plus ce chaos est grand, plus vous voulez un chef, un berger qui vous conduise hors de la confusion; alors vous lisez des textes sacrés ou vous vous adressez au dernier instructeur en date, ou encore vous réglez votre conduite selon quelque système de droite ou de gauche, qui vous semble devoir résoudre le problème.

Voilà exactement ce qui se produit partout.

Dès que l’on est conscient du désordre, de ce qui « est » exactement, on essaie de s’en évader.

Les sectes qui offrent des systèmes pour résoudre la souffrance économique, sociale et religieuse, sont les pires car alors c’est le système qui devient important, non l’homme. Que ce système soit religieux ou social, de droite ou de gauche, c’est lui avec sa philosophie et ses idées, qui devient important, non l’homme.

Et, pour ces idées, pour ces idéologies, on est tout prêt à sacrifier l’humanité entière.

C’est exactement cela qui se produit dans le monde. Je ne vous donne pas ici une interprétation personnelle de ce qui se passe: observez autour de vous, et vous verrez que c’est cela la vérité. Ce sont les systèmes qui sont devenus importants, et, de ce fait, l’homme – vous et moi – a perdu toute valeur et ceux qui ont le contrôle des systèmes (religieux ou économiques, de droite ou de gauche) assument l’autorité, le pouvoir, et par conséquent vous sacrifient, vous l’individu.

Voilà exactement ce qui se passe.

  • Mais quelle est la cause de cette misère ?
  • Comment cette confusion, cette souffrance, se sont-elles produites, non seulement psychologiquement, mais dans le monde extérieur ?
  • Comment sont nées cette peur et cette attente de la troisième guerre mondiale, de cette guerre qui est en train d’éclater ?

Cela indique, évidemment, un écroulement des valeurs morales et spirituelles et la glorification des valeurs sensorielles, des valeurs des choses faites par la main ou par la pensée.

  • Et qu’arrive-t-il lorsque l’on n’a, pour toutes valeurs, que celles, sensorielles, des produits de la pensée, de la main ou de la machine ?

Plus nous donnons d’importance aux valeurs sensorielles, aux objets, plus grande est la confusion.

Encore une fois, ceci n’est pas une théorie. Vous n’avez guère besoin de consulter des ouvrages pour vous rendre compte que vos valeurs, vos richesses, votre existence économique et sociale sont basées sur des choses faites par la main ou la pensée.

Ainsi nous vivons et fonctionnons et avons notre être plongé dans des valeurs sensorielles, ce qui veut dire que les choses de la pensée, de la main ou de la machine, sont devenues importantes.

Le résultat de cette importance donnée aux choses est que les croyances sont devenues prédominantes dans le monde.

  • N’est-ce pas cela qui se produit partout ?

Ainsi, accordant de plus en plus d’importance aux valeurs qui relèvent des sens, nous créons une confusion de plus en plus grande; et, nous trouvant au milieu de cette confusion, nous essayons de nous en évader par différentes voies, religieuses, économiques ou sociales, ou par l’ambition, le pouvoir ou la recherche de la réalité.

Mais le réel est tout près de vous.

Vous n’avez pas à le chercher.

L’homme qui cherche la réalité ne la trouvera jamais. La vérité est en ce qui « est » – et c’est cela sa beauté.

Mais dès l’instant que vous la concevez, dès l’instant que vous la cherchez, vous commencez à lutter; et l’homme qui lutte ne peut pas comprendre.

Voilà pourquoi il nous faut être en observation, immobiles, passivement lucides. Nous voyons alors que notre existence, notre action, sont toujours dans le champ de la destruction, de la douleur; comme une vague, la confusion et le chaos déferlent sur nous. Il n’y a pas d’intervalles dans la confusion de l’existence.

Tout ce que nous faisons à présent semble conduire au chaos, à la souffrance, à un état malheureux.

Observez votre propre vie et vous verrez que votre existence est toujours au bord de la douleur.

  • Notre travail,
  • notre activité sociale,
  • notre politique,
  • les réunions des nations pour enrayer la guerre,
  • tout développe la guerre.
  • La destruction suit l’existence dans son sillage;
  • tout ce que nous faisons mène à la mort.
  • Voilà exactement ce qui a lieu.

Pouvons-nous mettre tout de suite fin à cette misère et ne plus être emportés par la vague de confusion et de douleur ?

Suite (2) de l’introduction dans un prochain article

La première et dernière liberté – Introduction

« Afin de réaliser le Soi, ma véritable nature, ne dois-je pas d’abord et avant tout, voir et reconnaitre tout ce que je ne suis pas ? Ici, tout ce qui « est » tangible, visible, sensoriel, corporel et temporel n’a rien à voir avec ce Que tu es en vérité.

La «  PREMIÈRE ET DERNIÈRE LIBERTÉ  » dont nous entretient ce livre, résume toute la pensée et l’enseignement du grand philosophe indien, Jiddu Krishnamurti (1895-1986). Sans nous enfermer dans aucun système, nous invitant au contraire à une mise en question permanente, il aborde les problèmes fondamentaux de la vie avec le seul souci de rendre l’homme plus libre. C’est sans doute pourquoi le rayonnement de Jiddu Krishnamurti ne cesse de croître, de génération en génération, dans un monde et une société de plus en plus en proie à l’inquiétude spirituelle.

Communiquer l’un avec l’autre, même si l’on se connaît très bien, est extrêmement difficile. Il se peut que j’emploie des mots dans un sens qui n’est pas le vôtre, mais il ne peut y avoir de compréhension entre nous que si nous nous rencontrons au même niveau, au même instant. Une telle entente comporte une affection réelle entre une personne et l’autre, entre mari et femme, entre amis intimes.

C’est cela la vraie communion : une compréhension réciproque et instantanée qui se produit lorsqu’on se rencontre au même niveau, au même instant.

– « L’instant saint » dans UCEM –

Cette communion spontanée, effective et comportant une action définie est très difficile à établir. J’emploie des mots simples, qui ne sont pas techniques, car je pense qu’aucun mode spécialisé d’expression ne peut nous aider à résoudre nos problèmes fondamentaux. Je ne me servirai donc d’aucun terme technique employé soit en psychologie, soit en science. Je n’ai, heureusement, lu aucun livre de psychologie ou de doctrine religieuse. Je voudrais transmettre, au moyen des mots très simples de la vie quotidienne, un sens plus profond que celui qu’on leur accorde habituellement; mais cela me sera difficile si vous ne savez pas écouter.

Il existe un art d’écouter. Pour écouter réellement, il faut pouvoir abandonner, ou écarter, tous les préjugés, les expressions toutes faites et les activités quotidiennes.

« Oublis le passé de ton frère et le tient » – dans UCEM

Lorsque l’on est dans un état d’esprit réceptif, l’on peut comprendre aisément; vous écoutez aussitôt que vous accordez réellement votre attention à ce que l’on dit. Mais, malheureusement, la plupart d’entre nous écoutent à travers un écran de résistances.

Nous vivons derrière un écran fait de préjugés, religieux ou spirituels, psychologiques ou scientifiques, ou composé de nos soucis quotidiens, de nos désirs et de nos craintes. Et, abrités derrière tout cela, nous écoutons. Donc, nous n’entendons en réalité que notre propre bruit, notre son, et non pas ce que l’on nous dit.

Il est extrêmement difficile de mettre de côté notre formation, nos préjugés, nos inclinations, nos résistances, et, allant au-delà de l’expression verbale, d’écouter de façon à comprendre instantanément ce que l’on nous dit.

Ce sera là une de nos difficultés.

Si, au cours de ces causeries, vous entendez quoi que ce soit qui s’oppose à votre façon de penser et de croire, bornez-vous à écouter, ne résistez pas. Il se peut que vous ayez raison et que j’aie tort, mais écoutez et considérons la question ensemble; nous découvrirons ainsi la vérité.

La vérité ne peut vous être donnée par personne. Il vous faut la découvrir; et, pour faire une découverte, il faut un état d’esprit qui permette une perception directe.

Il n’y a pas de perception directe là où se trouvent une résistance, une protection, une sauvegarde.

La compréhension vient avec la perception de ce qui « est ». Savoir avec exactitude ce qui « est », voir tout tel que c’est, l’actuel, sans l’interpréter, sans le condamner ou le justifier, est le commencement de la sagesse.

C’est lorsque nous commençons à interpréter, à traduire selon notre conditionnement et nos préjugés, que la vérité nous échappe.

Après tout, il y va comme de toute recherche. Pour savoir ce qu’est une chose, ce qu’elle est exactement, il faut se livrer à une certaine recherche, il ne faut pas la traduire selon notre humeur. De même, si nous pouvons regarder, observer, écouter ce qui « est », en être exactement conscient, le problème est résolu. Et c’est ce que nous essayerons de faire dans ces discours. Je vous montrerai ce qui « est » et de même que je ne le traduirai pas selon ma fantaisie, vous ne devrez pas le traduire ou l’interpréter selon votre conditionnement ou votre formation.

N’est-il pas possible d’être conscient de tout, tel que cela est ?

Et, en commençant ainsi, ne doit-on pas parvenir à l’entendement ?

Admettre ce qui « est », y parvenir, en être conscient, met fin aux luttes.

Si je sais que je suis un menteur, si c’est un fait que je reconnais, la lutte cesse. Admettre ce qui « est », en être conscient, c’est déjà le commencement de la sagesse, de l’entendement qui nous libère de la durée. Introduire la notion du temps – non du temps chronologique, mais de la durée en tant que moyen, en tant que processus psychologique, en tant que pensée – est destructeur et engendre la confusion.

Mais il est possible de comprendre ce qui « est », si on le reconnaît, sans justification, sans identification.

Savoir que l’on est dans une certaine condition, dans un certain état, est déjà un processus de libération; mais l’homme qui n’est pas conscient de son conditionnement, de sa lutte, essaie d’être autre chose que ce qu’il est, ce qui engendre des habitudes.

Tenons donc présent à l’esprit que nous voulons examiner ce qui « est », observer l’actuel, en être exactement conscient, sans lui donner un biais, sans l’interpréter.

Cela exige une acuité extraordinaire de l’esprit et un cœur extraordinairement souple; car ce qui « est », est sans cesse en mouvement, constamment en transformation, et si l’esprit est enchaîné par des croyances, par des connaissances, il cesse sa poursuite, il cesse de s’adapter au rapide mouvement de ce qui « est ». Ce qui « est » n’est évidemment pas statique, accroché à une croyance, à un préjugé, ainsi que vous pouvez le voir si vous l’observez de très près. Pour le suivre dans sa course, il faut avoir un esprit très prompt et un cœur souple, qui vous sont refusés si votre esprit est statique, accroché à une croyance, à un préjugé, à une identification. Un cœur et un esprit secs ne peuvent pas suivre aisément, rapidement, ce qui « est ».

Je pense que, sans trop de discussions, sans trop d’expressions verbales, nous sommes tous conscients du fait que nous vivons actuellement dans un chaos, une confusion, une misère, à la fois individuels et collectifs. Cela est vrai non seulement en Inde, mais partout dans le monde : en Chine, en Amérique, en Angleterre, en Allemagne, bref, le monde entier est dans un état de confusion, de misère grandissante. Cette souffrance, non seulement individuelle mais aussi collective, est extraordinairement aiguë. Il s’agit donc d’une catastrophe mondiale, et la limiter à une simple région géographique, à telle section colorée de la mappemonde serait absurde, car cela nous empêcherait de comprendre la pleine signification de cette souffrance mondiale et individuelle.

Étant conscients de cette confusion, quelle est notre réponse à ce fait ?

Comment y réagissons-nous ?

Suite de l’introduction dans un prochain article

De la Connaissance de Soi (suite – 2)

Une méthode implique l’autorité d’un sage, d’un gourou, d’un Sauveur, d’un Maître qui se portent garants de l’efficacité de leur enseignement; mais cette voie n’est certes pas celle de la connaissance de soi.

L’autorité, au contraire, nous empêche de nous connaître. Sous l’égide d’un guide spirituel nous pouvons temporairement éprouver un sens de sécurité et de bien-être mais qui n’est pas la connaissance du processus total de nous-mêmes. L’autorité, de par sa nature, nous empêche d’être lucides quant à notre être intérieur et détruit de ce fait la liberté, la liberté en dehors de laquelle il n’y a pas de création.

L’état créateur n’existe qu’en la connaissance de soi.

La plupart d’entre nous en sont privés: nous sommes des machines à répétition, des disques de gramophone, de sempiternelles chansons enregistrées par nos expériences, nos conclusions, nos souvenirs, ou ceux des autres. Revivre ces enregistrements ce n’est pas être créatifs, mais c’est justement cela que nous voulons : le culte de l’autorité écarte les périls que nous craignons et détruit la compréhension, cette tranquille spontanéité de l’esprit qui est l’état créatif.

Notre difficulté est que la plupart d’entre nous ont perdu cet état. Être créatif ne veut pas dire nécessairement peindre, écrire, devenir célèbre, en somme avoir la capacité d’exprimer une idée, puis se faire applaudir ou rejeter par le public.

Il ne faut pas confondre le don de s’exprimer avec l’état créatif. En celui-ci (l’état créatif) le moi est absent, l’esprit n’est plus centré sur ses expériences, ses ambitions, ses poursuites, ses désirs.

L’état créatif est discontinu;

il est neuf d’instant en instant; c’est un mouvement en lequel le « moi », le « mien » n’est pas là, en lequel la pensée n’est pas fixée sur un but à atteindre, une réussite, un mobile, une ambition.

En cet état seul est la réalité, le créateur de toute chose.

Mais cet état ne peut pas être conçu ou imaginé, formulé ou copié; on ne peut l’atteindre par aucun système, aucune philosophie, aucune discipline; au contraire, il ne naît que par la compréhension du processus total de nous-mêmes.

Cette compréhension n’est pas un résultat, un sommet; elle consiste à se voir, d’instant en instant, dans le miroir des rapports que l’on entretient avec les personnes, les choses, les possessions, les idées.

Mais nous trouvons qu’il est difficile d’être en éveil et sur le qui-vive, aussi préférons-nous nous engourdir en acceptant des méthodes, des croyances, des superstitions et des théories agréables au moyen desquelles nos esprits s’épuisent et deviennent insensibles. Dès lors, ils ne peuvent plus être dans l’état créateur, d’où le moi est absent, parce que le processus de récognition et d’accumulation qui est mis en œuvre est le moi lui-même : la conscience que l’on a d’être un moi est le centre de la récognition et celle-ci n’est que le processus de l’accumulation de l’expérience.

Mais nous avons tous peur de n’être rien du tout :

nous voulons tous être quelque chose, le petit personnage veut devenir important, le vicieux vertueux, le faible rêve de puissance et d’autorité. Telle est l’incessante agitation de nos esprits. Ils ne peuvent jamais se taire, donc ils ne peuvent jamais connaître l’état créatif.

Pour transformer le monde autour de nous, avec ses souffrances, ses guerres, ses famines, ses luttes de classes, cette confusion totale,

la révolution préalable qui doit se faire en nous-mêmes ne peut pas se laisser guider par une croyance ou une idéologie, quelles qu’elles soient.

Les mouvements basés sur des idées, qui se conforment à certaines façons de voir, ne sont pas du tout des révolutions. Pour provoquer une révolution fondamentale en nous-mêmes, nous devons comprendre le processus entier de notre pensée et de nos sentiments, au cours de nos relations. Là est la seule solution de tous nos problèmes; il est inutile de les chercher dans des disciplines, des croyances, des idéologies, chez des sages ou des savants.

Si nous pouvons nous comprendre nous-mêmes tels que nous sommes d’instant en instant, sans le processus d’accumulation, nous verrons comment se produit une quiétude qui n’est pas engendrée par la pensée, qui n’est ni imaginée ni cultivée.

En cette quiétude seule est l’état créateur.

IV – De la Connaissance de Soi (suite-2) – pages 25

Jiddu Krishnamurti – LA PREMIÈRE ET DERNIÈRE LIBERTÉ
Traduit de l’anglais par Carlo Suarès – 1954
Éditions Stock

De la Connaissance de Soi (suite 1)

La réalité ne peut être découverte qu’en comprenant ce qui « est », et pour comprendre ce qui « est » on doit être libre : libre de la peur de ce qui « est ».

Pour comprendre ce processus, il faut qu’existe l’intention de savoir ce qui « est », de suivre chaque pensée, chaque sentiment, chaque acte.

Et, ainsi que je l’ai dit, cette poursuite est difficile, car ce qui « est » n’est jamais immobile, statique, mais toujours mouvant. Le « ce qui est » est ce que vous faites, ce que vous pensez et ressentez réellement d’un instant à l’autre, et non ce que vous voudriez être, l’idéal fictif. Ce qui « est » est l’actuel et pour le saisir il faut un esprit aigu, rapide, toujours en éveil. Si nous commençons à condamner ce qui « est », à le blâmer ou à lui résister nous ne comprenons plus son mouvement. Si nous voulons comprendre une personne, nous ne devons pas la condamner, mais l’observer, l’étudier.

Il me faut aimer la chose même que j’étudie.

Si vous voulez comprendre un enfant, aimez-le, ne le blâmez pas, jouez avec lui, observez ses mouvements, ses caractéristiques personnelles, son comportement. De même, pour comprendre ce qui « est », vous devez observer ce que vous pensez, ressentez et faites d’instant en instant. C’est cela l’actuel. Toute autre action, toute action idéologique, tout idéal n’ont rien d’actuel; ce ne sont que des souhaits, des désirs fictifs d’être autre chose que ce qui « est ».


La compréhension de ce qui « est » exige un état d’esprit en lequel il n’y a ni identification ni condamnation, ce qui implique un esprit vif et pourtant passif. Nous sommes dans cet état lorsque nous voulons réellement comprendre quelque chose.

L’intensité de l’intérêt engendre cet état d’esprit.

Et lorsque nous voulons comprendre ce qui « est », c’est-à-dire l’état même de notre esprit, nous n’avons guère besoin de le forcer, de le discipliner, de le contrôler; au contraire, nous devenons le lieu d’une observation vive et passive. Cet état de lucidité surgit avec l’intérêt, avec l’intention de comprendre.


La compréhension fondamentale de soi-même n’est pas le fruit d’une accumulation de connaissances ou d’expériences.

Celles-ci s’appuient sur la mémoire, tandis que la connaissance de soi est d’instant en instant.

Si nous ne faisons qu’accumuler des données sur le moi, ces informations mêmes nous empêchent de nous comprendre plus profondément, car cet entassement de savoir et d’expériences devient un foyer où la pensée se concentre et a son être. Le monde n’est pas différent de nous et de nos activités, c’est ce que nous sommes qui crée les problèmes du monde.

La difficulté, pour la plupart d’entre nous, est que nous ne nous connaissons pas directement, mais que nous sommes à la recherche d’un système, d’une méthode, d’un moyen d’action qui résoudraient les nombreux problèmes humains.

Existe-t-il un moyen, un système pour se connaître?

Toute personne habile, tout philosophe peuvent inventer un système, une méthode, mais ne pensez-vous pas que le résultat d’une méthode est créé par la méthode elle-même?

Si j’adopte un certain système pour me connaître, j’obtiendrai le résultat qui découle de cette méthode, mais je ne me connaîtrai pas pour autant. Car la méthode, le système, le moyen, façonnent la pensée et l’activité, mais cette forme particulière qu’elles assument n’est pas la connaissance de soi.

Il n’y a donc pas de méthode pour se connaître.

La recherche d’une méthode implique le désir d’obtenir un certain résultat – c’est cela que nous voulons : nous nous soumettons à l’autorité d’une personne, d’un système ou d’une idéologie car nous désirons obtenir un résultat qui nous fasse plaisir et qui nous apporte la sécurité.

En vérité, nous ne voulons pas nous connaître, voir clairement nos impulsions, nos réactions, tout le processus conscient et inconscient de notre pensée; nous préférons adopter un système et poursuivre le résultat qu’il comporte. Cette poursuite est invariablement engendrée par notre désir de trouver une sécurité, une certitude,

et le résultat n’est pas la connaissance de soi.

Une méthode implique l’autorité d’un sage, d’un gourou, d’un Sauveur, d’un Maître qui se portent garants de l’efficacité de leur enseignement; mais cette voie n’est certes pas celle de la connaissance de soi.

IV – De la Connaissance de Soi (suite) – pages 24

Jiddu Krishnamurti – LA PREMIÈRE ET DERNIÈRE LIBERTÉ
Traduit de l’anglais par Carlo Suarès – 1954
Éditions Stock