De la Connaissance de Soi (suite – 2)

Une méthode implique l’autorité d’un sage, d’un gourou, d’un Sauveur, d’un Maître qui se portent garants de l’efficacité de leur enseignement; mais cette voie n’est certes pas celle de la connaissance de soi.

L’autorité, au contraire, nous empêche de nous connaître. Sous l’égide d’un guide spirituel nous pouvons temporairement éprouver un sens de sécurité et de bien-être mais qui n’est pas la connaissance du processus total de nous-mêmes. L’autorité, de par sa nature, nous empêche d’être lucides quant à notre être intérieur et détruit de ce fait la liberté, la liberté en dehors de laquelle il n’y a pas de création.

L’état créateur n’existe qu’en la connaissance de soi.

La plupart d’entre nous en sont privés: nous sommes des machines à répétition, des disques de gramophone, de sempiternelles chansons enregistrées par nos expériences, nos conclusions, nos souvenirs, ou ceux des autres. Revivre ces enregistrements ce n’est pas être créatifs, mais c’est justement cela que nous voulons : le culte de l’autorité écarte les périls que nous craignons et détruit la compréhension, cette tranquille spontanéité de l’esprit qui est l’état créatif.

Notre difficulté est que la plupart d’entre nous ont perdu cet état. Être créatif ne veut pas dire nécessairement peindre, écrire, devenir célèbre, en somme avoir la capacité d’exprimer une idée, puis se faire applaudir ou rejeter par le public.

Il ne faut pas confondre le don de s’exprimer avec l’état créatif. En celui-ci (l’état créatif) le moi est absent, l’esprit n’est plus centré sur ses expériences, ses ambitions, ses poursuites, ses désirs.

L’état créatif est discontinu;

il est neuf d’instant en instant; c’est un mouvement en lequel le « moi », le « mien » n’est pas là, en lequel la pensée n’est pas fixée sur un but à atteindre, une réussite, un mobile, une ambition.

En cet état seul est la réalité, le créateur de toute chose.

Mais cet état ne peut pas être conçu ou imaginé, formulé ou copié; on ne peut l’atteindre par aucun système, aucune philosophie, aucune discipline; au contraire, il ne naît que par la compréhension du processus total de nous-mêmes.

Cette compréhension n’est pas un résultat, un sommet; elle consiste à se voir, d’instant en instant, dans le miroir des rapports que l’on entretient avec les personnes, les choses, les possessions, les idées.

Mais nous trouvons qu’il est difficile d’être en éveil et sur le qui-vive, aussi préférons-nous nous engourdir en acceptant des méthodes, des croyances, des superstitions et des théories agréables au moyen desquelles nos esprits s’épuisent et deviennent insensibles. Dès lors, ils ne peuvent plus être dans l’état créateur, d’où le moi est absent, parce que le processus de récognition et d’accumulation qui est mis en œuvre est le moi lui-même : la conscience que l’on a d’être un moi est le centre de la récognition et celle-ci n’est que le processus de l’accumulation de l’expérience.

Mais nous avons tous peur de n’être rien du tout :

nous voulons tous être quelque chose, le petit personnage veut devenir important, le vicieux vertueux, le faible rêve de puissance et d’autorité. Telle est l’incessante agitation de nos esprits. Ils ne peuvent jamais se taire, donc ils ne peuvent jamais connaître l’état créatif.

Pour transformer le monde autour de nous, avec ses souffrances, ses guerres, ses famines, ses luttes de classes, cette confusion totale,

la révolution préalable qui doit se faire en nous-mêmes ne peut pas se laisser guider par une croyance ou une idéologie, quelles qu’elles soient.

Les mouvements basés sur des idées, qui se conforment à certaines façons de voir, ne sont pas du tout des révolutions. Pour provoquer une révolution fondamentale en nous-mêmes, nous devons comprendre le processus entier de notre pensée et de nos sentiments, au cours de nos relations. Là est la seule solution de tous nos problèmes; il est inutile de les chercher dans des disciplines, des croyances, des idéologies, chez des sages ou des savants.

Si nous pouvons nous comprendre nous-mêmes tels que nous sommes d’instant en instant, sans le processus d’accumulation, nous verrons comment se produit une quiétude qui n’est pas engendrée par la pensée, qui n’est ni imaginée ni cultivée.

En cette quiétude seule est l’état créateur.

IV – De la Connaissance de Soi (suite-2) – pages 25

Jiddu Krishnamurti – LA PREMIÈRE ET DERNIÈRE LIBERTÉ
Traduit de l’anglais par Carlo Suarès – 1954
Éditions Stock

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