Jiddu Krishnamurti (1895-1986).
« Dès que l’on est conscient du désordre, de ce qui « est » exactement, on essaie de s’en évader. Les sectes qui offrent des systèmes pour résoudre la souffrance économique, sociale et religieuse, sont les pires car alors c’est le système qui devient important, non l’homme. »
Que ce système soit religieux ou social, de droite ou de gauche, c’est lui avec sa philosophie et ses idées, qui devient important, non l’homme.
La souffrance est politique, sociale, religieuse; tout notre être psychologique est dans la confusion, nos chefs politiques et religieux n’y peuvent rien et les livres sacrés ont perdu leur valeur.
Vous pouvez consulter la Bhagavad Gîtâ ou la Bible ou le dernier traité de politique ou de psychologie et vous verrez qu’ils ont perdu la résonance, la qualité de la vérité. Ce ne sont plus que de simples mots. Et vous-mêmes, qui faites profession de répéter ces mots, vous êtes confus et incertains, cette répétition ne transmet rien. Ainsi, les mots et les livres ont perdu leur signification et vous, qui citez la Bible, Karl Marx ou la Bhagavad Gîtâ, étant vous-mêmes dans l’incertitude et la confusion, votre répétition devient mensonge, les mots écrits ne sont plus que propagande, et la propagande n’est pas la vérité.
Aussitôt que vous vous mettez à répéter, vous cessez de comprendre votre propre état d’esprit.
Vous ne faites que cacher votre confusion au moyen de l’autorité que vous accordez à des mots. Mais ce que nous essayons de faire, ici, c’est comprendre cette confusion et non la recouvrir au moyen de citations.
- Or, quelle est votre réponse à cela ?
- Comment réagissez-vous à cet énorme chaos, à cette confuse incertitude de l’existence ?
Soyez-en conscients à mesure que j’en parle; ne suivez pas mes mots mais la pensée qui agit en vous. La plupart d’entre nous ont l’habitude d’être des spectateurs et de ne pas participer à l’action; de lire des livres et de ne pas en écrire;
être spectateur est devenu une tradition, notre habitude nationale et universelle;
- nous assistons à des parties de football,
- nous écoutons des politiciens et des orateurs,
- nous ne sommes là qu’en surplus;
nous avons perdu la capacité de créer et par conséquent nous voulons absorber et que cela soit notre part.
Mais si vous ne faites qu’assister, si vous n’êtes ici que des spectateurs, vous perdrez totalement le sens de ce discours,
car ceci n’est pas une de ces conférences que l’on vous demande d’écouter par habitude.
Je ne vous donnerai aucune des informations que vous pourriez trouver dans une encyclopédie. Mais nous essayerons de suivre nos pensées réciproques et de poursuivre aussi loin, aussi profondément que nous le pourrons, les intentions et les réactions de nos propres sentiments.
Je vous prie donc de découvrir votre propre réponse à ce chaos, à cette souffrance; non pas de savoir quels sont les mots qu’Untel a prononcés mais quelles sont vos réactions personnelles à ce sujet. Votre réaction est celle de l’indifférence si vous retirez un avantage de cette souffrance, de ce chaos, si vous en avez un profit, économique, social, politique ou psychologique.
Dans ce cas, cela vous est égal que le désordre se prolonge.
Il est évident que plus le monde est troublé et chaotique, plus on recherche la sécurité.
- Ne l’avez-vous pas remarqué ?
Du fait de la confusion qui règne dans tous les domaines, vous vous enfermez dans la sécurité que vous donne un compte en banque, ou une idéologie; ou encore, vous vous livrez à la prière, vous allez au temple, ce qui veut dire que vous vous abstrayez de ce qui se passe dans le monde. Des sectes se forment, de plus en plus nombreuses, de nouveaux « ismes » surgissent partout.
Car, plus ce chaos est grand, plus vous voulez un chef, un berger qui vous conduise hors de la confusion; alors vous lisez des textes sacrés ou vous vous adressez au dernier instructeur en date, ou encore vous réglez votre conduite selon quelque système de droite ou de gauche, qui vous semble devoir résoudre le problème.
Voilà exactement ce qui se produit partout.
Dès que l’on est conscient du désordre, de ce qui « est » exactement, on essaie de s’en évader.
Les sectes qui offrent des systèmes pour résoudre la souffrance économique, sociale et religieuse, sont les pires car alors c’est le système qui devient important, non l’homme. Que ce système soit religieux ou social, de droite ou de gauche, c’est lui avec sa philosophie et ses idées, qui devient important, non l’homme.
Et, pour ces idées, pour ces idéologies, on est tout prêt à sacrifier l’humanité entière.
C’est exactement cela qui se produit dans le monde. Je ne vous donne pas ici une interprétation personnelle de ce qui se passe: observez autour de vous, et vous verrez que c’est cela la vérité. Ce sont les systèmes qui sont devenus importants, et, de ce fait, l’homme – vous et moi – a perdu toute valeur et ceux qui ont le contrôle des systèmes (religieux ou économiques, de droite ou de gauche) assument l’autorité, le pouvoir, et par conséquent vous sacrifient, vous l’individu.
Voilà exactement ce qui se passe.
- Mais quelle est la cause de cette misère ?
- Comment cette confusion, cette souffrance, se sont-elles produites, non seulement psychologiquement, mais dans le monde extérieur ?
- Comment sont nées cette peur et cette attente de la troisième guerre mondiale, de cette guerre qui est en train d’éclater ?
Cela indique, évidemment, un écroulement des valeurs morales et spirituelles et la glorification des valeurs sensorielles, des valeurs des choses faites par la main ou par la pensée.
- Et qu’arrive-t-il lorsque l’on n’a, pour toutes valeurs, que celles, sensorielles, des produits de la pensée, de la main ou de la machine ?
Plus nous donnons d’importance aux valeurs sensorielles, aux objets, plus grande est la confusion.
Encore une fois, ceci n’est pas une théorie. Vous n’avez guère besoin de consulter des ouvrages pour vous rendre compte que vos valeurs, vos richesses, votre existence économique et sociale sont basées sur des choses faites par la main ou la pensée.
Ainsi nous vivons et fonctionnons et avons notre être plongé dans des valeurs sensorielles, ce qui veut dire que les choses de la pensée, de la main ou de la machine, sont devenues importantes.
Le résultat de cette importance donnée aux choses est que les croyances sont devenues prédominantes dans le monde.
- N’est-ce pas cela qui se produit partout ?
Ainsi, accordant de plus en plus d’importance aux valeurs qui relèvent des sens, nous créons une confusion de plus en plus grande; et, nous trouvant au milieu de cette confusion, nous essayons de nous en évader par différentes voies, religieuses, économiques ou sociales, ou par l’ambition, le pouvoir ou la recherche de la réalité.
Mais le réel est tout près de vous.
Vous n’avez pas à le chercher.
L’homme qui cherche la réalité ne la trouvera jamais. La vérité est en ce qui « est » – et c’est cela sa beauté.
Mais dès l’instant que vous la concevez, dès l’instant que vous la cherchez, vous commencez à lutter; et l’homme qui lutte ne peut pas comprendre.
Voilà pourquoi il nous faut être en observation, immobiles, passivement lucides. Nous voyons alors que notre existence, notre action, sont toujours dans le champ de la destruction, de la douleur; comme une vague, la confusion et le chaos déferlent sur nous. Il n’y a pas d’intervalles dans la confusion de l’existence.
Tout ce que nous faisons à présent semble conduire au chaos, à la souffrance, à un état malheureux.
Observez votre propre vie et vous verrez que votre existence est toujours au bord de la douleur.
- Notre travail,
- notre activité sociale,
- notre politique,
- les réunions des nations pour enrayer la guerre,
- tout développe la guerre.
- La destruction suit l’existence dans son sillage;
- tout ce que nous faisons mène à la mort.
- Voilà exactement ce qui a lieu.
Pouvons-nous mettre tout de suite fin à cette misère et ne plus être emportés par la vague de confusion et de douleur ?
Suite (2) de l’introduction dans un prochain article